Realpolitik et equilibre des puissances
Realpolitik et les Puissances Européennes (1871 – 1914)
« Vous n’êtes pas prêts ! » s’exclamait Adolphe Thiers s’adressant à l’assemblée nationale. Nous sommes en juillet 1870 et la France vient de décréter une mobilisation générale et s’apprête à rentrer en guerre contre la Prusse dirigée depuis 1862 par son ministre-président, Otto von Bismarck. La Prusse est alors triomphante et vient deterrasser l’Empire autrichien en 1866 et cette déclaration de guerre sonne déjà une victoire pour la Prusse qui provoque la France depuis de long mois en vue d’atteindre cet objectif. Les prussiens savent qu’ils sont mieux préparés et plus nombreux, d’autant plus que l’armée française vient d’enregistrer de lourdes pertes au Mexique, et Bismarck entend bien achever l’unification allemande dans unconflit victorieux contre la France. Seul Adolphe Thiers donc, entrevoit le piège tendu par les allemands, mais l’assemblée nationale ne tient pas compte de ses avertissements et vote les crédits nécessaires pour soutenir le conflit. Comme prévu les français essuient de nombreuses défaites et signent un armistice, moins de trois mois plus tard, le 2 septembre 1870 à la suite de la défaite de Sedan –qui scelle la fin de l’Empire avec la déposition de Napoléon III. Le prix de la paix est très lourd à payer pour la France, qui perd l’Alsace et la Lorraine et doit en sus régler une indemnité de 5 milliards de francs et financer l’hébergement des troupes allemandes stationnant en France en attendant le règlement de ce tribut. Par cette ultime victoire, Bismarck réalise l’unification del’Allemagne, qui était jusqu’alors faites d’Etats indépendants et de républiques autonomes. A la suite de ce conflit, l’Allemagne devient la puissance dominante en Europe et verra sa prépondérance se perpétuer durant la période à venir. Bismarck, sacré premier chancelier de cette Allemagne, que l’on nommera parfois deuxième Reich en opposition au Saint Empire Germanique qui fait office de premier Reich, faitalors figure d’arbitre dans les relations entre les principales puissances européennes. Pour la première depuis le congrès de Vienne de 1814, qui s’est efforcé de trouver un équilibre entre les puissances, une nation se retrouve en position dominante. Il faut alors mettre en place de nouveaux principes permettant de régir les relations entre ces puissances pour répondre à cette nouvelledisposition des rapports de forces dans le concert des nations européennes. Bismarck va alors mettre en place ce que l’on appellera la Realpolitik dont H. Kissinger qui définira plus tard ce terme comme désignant « la politique étrangère fondée sur le calcul des forces et l’intérêt national ». En cela, ce principe rappelle celui de la Raison d’Etat développé par Richelieu lors de la Guerre de Trente Ans,en cela que les intérêts nationaux sont privilégiés au profit des intérêts religieux ou particuliers. Bismarck va en effet chercher à assurer une place dominante à l’Allemagne tout en assurant un équilibre entre les autres puissances européennes. En quoi la politique bismarckienne s’inscrit t-elle en continuité avec les politiques mises en place lors des Congrès de Vienne ? Pourquoi la paix ne peutplus être maintenue après la fin de l’équilibre bismarckien ? Nous verrons qu’à partir de 1871 la Realpolitik de Bismarck va permettre d’assurer un équilibre européen (I) avant de voir que la démission de Bismarck en 1890 va entrainer une rupture de cet équilibre et l’avènement de la Weltpolitik ce qui mènera l’Europe sur le chemin de la guerre (II).
I. Equilibre européen et Realpolitik(1871 – 1890)
1. Prépondérance de l’Empire allemand : une nécessaire isolation de la France
Le 18 janvier 1871 est proclamé, depuis la galerie des glaces du château de Versailles, l’Empire allemand qui consacre Guillaume 1er de Prusse comme son premier régent. Cela consacre l’accession de cet Etat au rang de puissance européenne, rôle qu’il n’a jamais pu jouer compte tenu de son éclatement…