La fontaine le loup et le chien

Le Loup & le Chien.

Un Loup n’avoit que les os & la peau,
Tant les Chiens fai?oient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue au??i pui??ant que beau ; [ ?13?]
Gras,poli, qui s’e?toit fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eu?t fait volontiers.
Mais il falloit livrer bataille ;
Et le Mâtin e?toitde taille
A ?e défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, & luy fait compliment
Sur ?on embonpoint qu’il admire :
Il ne tiendraqu’à vous, beau Sire,
D’e?tre au??i gras que moy, luy repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y ?ont mi?erables,
Cancres, haires, & pauvresdiables,
Dont la condition e?t de mourir de faim.
Car quoy ? Rien d’a??uré ; point de franche lipée ;
Tout à la pointe de l’épée. [ ?14?]
Suivez-moy ; vous aurez bien unmeilleur de?tin.
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Pre?que rien, dit le Chien, donner la cha??e aux gens
Portans ba?tons, & mendians ;
Flater ceux du logis ; à ?onMai?tre complaire ;
Moyennant quoy vo?tre ?alaire
Sera force reliefs de toutes les façons ;
Os de poulets, os de pigeons :
Sans parler de mainte care??e.
Le Loup déja ?eforge une felicité
Qui le fait pleurer de tendre??e.
Chemin fai?ant il vid le col du Chien pelé.
Qu’e?t-ce là, luy dit-il ? Rien. Quoy rien ? Peu de cho?e.
Mais encor ? Lecollier dont je ?uis attaché
De ce que vous voyez e?t peut-e?tre la cau?e. [ ?15?]
Attaché ? dit le Loup, vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours ; maisqu’importe ?
Il importe ?i bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune ?orte ;
Et ne voudrois pas me?me à ce prix un tre?or.
Cela dit, Mai?tre Loup s’enfuit, & court encor.