La violence dans nana
Emile Zola inscrivait crûment dans le dossier préparatoire de Nana, « en un mot, la morale est toujours celle-ci : le cul est tout-puissant ». Sans nier les différentes pulsions dominatrices générées au fil de l’œuvre par le pouvoir familial, social, politique ou religieux, incarné entre autres par la mère Muffat, le marquis de Chouard, le prince ou Monsieur Venot, c’est incontestablement lepouvoir de la femme qui est le fil conducteur de ce roman controversé de Zola. En parcourant le texte, on aperçoit nettement le processus maintes fois répété par Nana et s’achevant irrémédiablement par la déchéance de ses proies.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à cette dynamique qui fait de l’anti-héroïne un « ferment de destruction […] corrompant et désorganisant Paris entre sescuisses de neige[1] ». Nous étudierons tout d’abord les différentes métaphores qui font de Nana, tour à tour, une bête, une ogresse, une reine, une déesse ou un mythe, afin de mieux cerner le personnage ; puis nous établirons les différentes phases du processus de destruction permis par l’étalage de sa sensualité, pour enfin nous arrêter sur le personnage de Fontan, unique rescapé « mâle » desassauts de Nana (nous omettrons en effet de l’étude du personnage de Satin, jeune « roulure » exerçant son emprise sur sa maîtresse) : cet acteur représente en effet la seule figure de vengeance aboutie de l’homme sur la femme castratrice qu’est notre reine issue des faubourgs. Cela fait, nous parviendrons à prouver que le rouge, omniprésent dans l’œuvre, plane comme le symbole annonciateur de la mortde Nana en parallèle de celle du Second Empire.
Zola reste un adepte de la symbolique classique dans Nana. Il fait de son anti-héroïne un animal guidé par sa sensualité, une Eve qui détruit l’ordre du monde par la seule force de son corps. A maintes reprises, la terminologie animalière permet de caractériser cette femme, tant lorsqu’il s’agit de sa puissance que lorsque qu’il s’agit de sabêtise. Ainsi, l’auteur la décrit comme « une oie » (p241), ayant «une cervelle d’oiseau ». Sa fonction même de prostituée de bas étage, puis de courtisane, autorise Zola à la comparer à une poule : notons que ces différentes dénominations s’attachent à des animaux qui, stupides et sans noblesse, tirés de la basse-cour, peuvent être vus comme une représentation de ses origines modestes.
Maiscet animal, s’il ne brille pas par l’intelligence, comme le déplore Georges Ohnet à la parution du premier feuilleton de Nana en affirmant que si « les courtisanes sont scélérates, elles ne sont point stupides », possède également des caractéristiques animalières qui servent sa toute-puissance sur les hommes qu’elle rencontre : cette « chienne » (p64) habitée par le « rut » dès l’entame du processusde séduction est marquée, même dans son allure et dans les attributs de son corps, par un sceau bestial. Sa « distinction nerveuse de chatte de race » (p313) l’éloigne en apparence de son appartenance au monde des faubourgs, mais sa pilosité affole ses proies. Cet « animal » semble sorti des Enfers, avec sa « toison de bête » (p51), sa rousseur qui lui apporte une aura diabolique, et sa posture« terrible » (p238). Nous sommes loin à présent des animaux de basse-cour qui illustrent la bêtise de Nana : il s’agit plutôt d’évoquer le fauve qui sommeille en elle et qui annonce sa dangerosité. Zola accumule donc les comparaisons à la chatte, animal lubrique et diabolique dans les esprits de l’époque, à l’ours par ses postures, au lion par sa crinière rousse, ou au serpent, qui lie à nouveau sonpersonnage au péché originel. Son odeur même est celle d’un fauve et diffuse un parfum de luxure contre lequel les hommes ne peuvent lutter. Le pouvoir que Nana exerce sur les hommes fait d’elle une figure diabolique ; plus particulièrement, le comte Muffat voit en elle l’incarnation du péché par sa lubricité et son aptitude à détourner chacun de son devoir : pour lui, « Nana, confusément,…