Ronsard « marie qui voudrait votre beau nom tourner »
Le XVIème siècle est caractérisé au niveau poétique par un renouveau des formes du Moyen Age. Le sonnet est une de ces formes nouvelles, emprunté
à l’italien Pétrarque. Un groupe de poètes va réfléchir à cette poésie nouvelle : la Pléiade, regroupant sept poètes, les deux plus célèbres étant Du Bellay et Ronsard.
Ronsard est certainement le plus célèbre de la Pléiade, et le plus reconnu àson époque. Ses recueils de sonnets amoureux sont toujours dédiées à une
femme ; ainsi, la Continuation des amours s’adresse t-elle à une jeune paysanne nommée Marie.
Bien que la destinataire soit absente, il ne peut échapper que ce sonnet est construit sous la forme d’un dialogue. La situation d’énonciation met en jeu un
emetteur (« je ») et un récepteur (« vous »). On retrouve ainsil’expressions du « je » et du « moi » et la sollicitation du « vous » et du « votre », réunis dans l’intimité
amoureuse du « nous ». Ce jeu de pronom, caractéristique du lyrisme amoureux, tisse un réseau de relations en créant un effet de couple, de proximité et de symétrie.
Cet effet se trouve amplifié par la forme même du poème : à remarquer que les deux quatrains et deux tercets sontsymétriquement rassemblés en couples,
conformément aux règles du sonnets.
Ensuite, le lyrisme de ce sonnet ressort par le thème de l’amour. Il est amorcé par un anagramme (Marie/Aimer), et annoncé dès les deux premiers vers
par le nom de l’inspiratrice, mis en apposition : « Marie, qui voudrait votre beau nom tourner/Il trouverait Aimer : aimez-moi donc Marie ». Soulignons au passage
que latypographie du mot « Aimer » (première lettre en majuscule) contribue ici à idéaliser l’acte d’« Aimer ». Sur le reste du poème, le thème de l’amour règne par
sa périphrase (« la douceur des douceurs la meilleur ») et par son réseau lexical (« aimer », « douceur », « doux », « plaisir », « beau », « Vénus », …). En bon
pétrarquisant, Ronsard chante l’amour. Dans cette prière, il demande àMarie de l’aimer, et pour l’en convaincre, il utilise des arguments. Le poète tente ici de gagner
le coeur de celle qu’il aime ; il lui demande de l’aimer, il l’en conjure : « aimez-moi donc, Marie », « S’il vous plaît pour jamais un plaisir demener/Aimez-moi […] ».
Pour l’en convaincre, il a aussi recours à un anagramme (Marie/Aimer), dont il sait que les grecs y voyaient un présage («Marie, qui voudrait votre beau nom
tourner/Il trouverait Aimer […] ») ; il lui demande alors de s’en remettre à cet anagramme pour l’aimer, façon de lui expliquer que leur amour est inscrit dans le destin
: « Faites cela vers moi dont votre nom vous prie ». Remarquons bien ici la personnification du nom de la paysanne, qui contribue à exprimer l’idée de fatalité : il n’y a
pas que sondestin qu’il l’invite à aimer le poète, il y a aussi son nom ; son nom, qui a toujours fait partie d’elle-même ; c’est comme-ci une partie d’elle-même la
priait d’aimer son prétendant.
Ensuite, pour persuader sa bien-aimée, Ronsard lui affirme sur un ton de garantie, que « [son] amour ne se peut en meilleur lieu donner » que lui, et fait le
serment d’une fidélité éternelle : « […] nousprendrons les plaisirs de la vie/Pendus l’un l’autre au col, et jamais nulle envie/D’aimer en autre lieu ne nous pourra mener
». A partir du premier tercet, le poète utilise pour la première fois un argument, sous la forme d’une « pétition de principe » : « Si faut-il bien aimer au monde quelque
chose ». A travers cette vérité axiomatique, l’auteur évoque de nouveau l’idée de l’inéluctableamour. La diérèse repérable au niveau du « bi-en » ajoute au caractère
évident de cet argument. L’auteur va chercher ensuite l’« analogie inspiratrice » (Marcel Proust) dans l’antiquité grecque, en défendant que « Celui qui n’aime point,
celui-là se propose/Une vie d’un Scythe […] », qui est l’incarnation même de la barbarie selon les grecques. Aux deux derniers vers, l’analogie se…