Elle
“Elle l’avait capturée dans sa main blanche, sa petite menotte translucide de femme-enfant, et, gentiment, avec un sourire d’une naïveté saisissante, elle l’avait tué. Pas tout de suite, pas dès lapremière fois, mais avec lenteur, en prenant soin d’elle, en la domestiquant, jour après jour. Sa liberté sauvage, son énergie autodestructrice, sa beauté irradiante, l’aura de sensualité et denoirceur qui émanait d’elle, elle l’avait dépossédée de tout cela, tout ce qui faisait qu’elle était ce qu’elle était, au fond. Elle avait de longs cheveux noirs, des yeux rêveurs dans lesquels roulaient desbleus d’océans et de ciels, des mains délicates, blanches comme le soleil, et au bout, des ongles trop longs, vernis chaque jour d’une couleur différente. C’était comme si elle voyait vague, ouqu’elle n’avait rien à faire de ce qui se passait autour d’elle, le bruit et les pleurs. Elle demandait toujours un peu de silence, une bulle, que l’on se taise quelques minutes pour la laisser respirer.Elle n’avait aucun tact, et les gens s’en offusquaient souvent, mais elle leur répondait toujours, les yeux grands ouverts, aveugle : “Je ne vois pas de quoi vous parlez”. Et elle ne voyait vraimentpas. Elle avait peu d’amis, peu d’amantes, une démarche aérienne et une silhouette evanescente. Alors, quand elle l’avait rencontré, chaude et musquée, intouchable, c’était la parfaite proie, en totaleopposition avec elle. Elle s’en était faite une amie, une amie chère, qui la trouvait un peu étrange mais lui vouait une confiance aveugle, elle l’avait dépouillée de toutes ses barrières, puis, unjour, doucement, elle avait fermé ses mains, et Clac!, elle était morte. Pas plus difficile que ça. Un petit rire lui avait échappé, un rire léger qui confinait à la cruauté tant il suintait l’innocenceperverse, puis, se détournant, elle avait laissé derrière elle le cadavre.
Le cadavre de la femelle papillon.
Et sur ses mains, ce n’était pas du sang mais un éventail de couleurs chaudes,…