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Fable ou Histoire (III, 3)
Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d’une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant, lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d’être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : « Je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits ! »
Il s’embusqua, brigand des bois, dans les épines ;
Il entassa l’horreur, le meurtre,les rapines,
Egorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu’avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s’écriait, poussant d’affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d’ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !Les bêtes l’admiraient, et fuyaient à grands pas.
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : « Tu n’es qu’un singe ! »
Quelques pistes possibles à explorer
La part de tradition dans cette fable : un « à la manière de », un pastiche réussi, appliqué de La Fontaine :
* animalité et humanité, le discours etles rugissements, le grincement des dents, l’antre entouré de carnage (la cour)
* vivacité du récit : introduction et situation initiale (2 vers), Modification et transformations (en deux phases : il se mit … qui le couvrait // Il vivait … à grands pas), renversement brutal et rapide (trois derniers vers) après le discours du fanfaron
* morale incluse dans le récit et le discours : réussitedevant les bêtes et échec devant le belluaire
* à rapprocher de deux fables de la Fontaine :
Le Loup devenu berger (III, 3 => Tiens donc, serait-ce un hasard ?)
L’Âne vêtu de la peau du Lion (V, 21)
Transition : même si la morale générale, la tromperie toujours mise à jour, (cf La Fontaine III, 3) est toujours là, Hugo utilise la fable à des fins bien plus précises, pour condamner tout unrégime fondé sur l’usurpation et le crime.
Une satire acerbe de la situation politique :
* les hyperboles dans le récit des exactions, les enjambements (v. 7,8,9,10),
le verbe « émigre », le comportement de soumission des bêtes,
* le choix du singe, celui qui imite, qui « singe » son prédécesseur
– les origines : maigre // royal appétit (cf situation personnelle de LNB avant de devenirprésident et empereur)
– les périphrases où il s’auto-désigne (astuce d’énonciation, condamnation par le personnage lui-même) : vainqueur des halliers (peut-être jeu de mots halliers // alliés, vaincus par son … oncle), roi sombre des nuits (cf I, 5, Cette nuit-là)
* le thème de la peau et du personnage :
– travestissement : se vêtit, endossé, voyant la peau, croyait au personnage (cfNapoléon le Petit)
– dissimulation, usurpation et crime : s’embusqua, brigand des bois (cf coup d’état)
Transition : si la fable fait la satire de l’usurpation, des fanfaronnades de l’imposteur et condamne ses crimes, elle prend aussi une valeur symbolique en définissant la fonction de la parole poétique.
Fonction prophétique, politique de la parole poétique :
* une mise en scène, le seul homme(le poète) dans cet univers de bêtes, le thème du belluaire (cf fin de II, 7)
* la « mise à nu » de la vérité (étude précise des trois derniers vers),
* le choix révélateur des temps (du passé simple, temps révolu de la tromperie au présent de la révélation),
* le sens du titre (n’est-ce qu’une fable ou est-ce l’histoire en marche dans laquelle le poète a sa part ?)
Le poète est doncbien selon Hugo, celui qui, par ses fables, par son Verbe, peut faire l’histoire, corriger l’histoire.
Hugo, dans l’édition de 1870, rajoutera une autre fable : Les Trois Chevaux où par la bouche des chevaux s’expriment les profiteurs alliés aux bien pensants et le cri de souffrance de la misère.
Introduction Ø Le plus grand ouvrage satirique du XIXe siècle compte plus de six mille vers….