L’art peut il se passer de règles?
L’art peut il se passer de règles ?
L’art recouvre deux domaines : la « technè » (du grec ?????), c’est-à-dire le savoir-faire des métiers de l’artisanat si on le prend dans son sens archaïque, et les Beaux-Arts. Ils paraissent opposés, car la technique ne saurait se soustraire aux règles, tandis que l’art semble échapper à toute contrainte, au vu de l’extravagance provocante de certainesœuvres contemporaines. Comment l’artiste pourrait-il exprimer son talent s’il devait suivre un certain nombre de règles sans verser dans l’académisme ? Mais si, au contraire, la création artistique s’affranchit de toute contrainte, l’œuvre risque d’être perçue comme un simple délire subjectif de l’artiste. L’art peut-il donc réellement se passer de règles ? Tout artiste doit connaître un certain nombrede procédés pour exercer son art. Mais l’activité artistique se réduit-elle à connaître des règles, des procédés, et à les appliquer ? L’art, c’est la liberté, par rapport à l’artisanat, mais sans règles, il n’y a pas de création possible. C’est pourquoi l’art se permet de dépasser les règles.
Communément, on admet que l’art est un lieu possible de liberté, de spontanéité et de virtuosité. Eneffet, c’est l’inspiration seule qui serait à l’origine de la production artistique. De ce point de vue, il serait assez paradoxal de réduire l’art à des règles, qui renvoient plutôt à l’idée de contraintes, de conventions, de normes, bien éloignées de tout ce que l’on considère spontanément comme « artistique ». L’artiste, livré à son inspiration et à son talent, ferait ce qui lui plaît,laisserait libre cours à ses pulsions créatives non entravées. Son œuvre serait unique, originale et inutile.
En effet, l’art recherche la beauté plus que la fonction, la singularité plus que la reproduction : en ça il se distingue de l’artisanat, qui préfère la sérialisation des produits, ce par l’usage d’une technique efficace et répétée. Une œuvre d’art est donc différente de la productionartisanale et industrielle : la recherche du rendement et d’une meilleure productivité n’est pas la préoccupation majeure de l’artiste. Et c’est justement dans le caractère unique et incomparable de l’œuvre créée que réside son intérêt. L’artisan peut lui aussi laisser s’exprimer sa créativité, mais il reste soumis non seulement aux règles simples de fonctionnalité, mais également aux règles imposées parl’économie de marché. En fabriquant un objet, l’artisan, par ses gestes inscrits dans des règles, répond à un objectif déjà fixé. Il obéit donc toujours à un plan préétabli, et créativité et artisanat ne sont pas antithétiques.
L‘artiste de son côté a la possibilité de se laisser porter par son inspiration ; son exaltation devient presque nécessaire à l’élaboration de son œuvre. Cetteinspiration qui le déconnecte de la réalité, et donc des règles fixées, semble provenir d’une puissance transcendante, d’une source extérieure et sans loi. Ce souffle créateur qui l’anime, le dépossède de son œuvre, du fait de son origine supérieure et mystérieuse. Aucune règle ne peut semble alors pouvoir refouler cet élan, cette spontanéité qui donne tout son sens à l’art. Une autre distinction notableentre l’artisan et l’artiste réside dans le fait que ce dernier ignore nécessairement le résultat de son travail. Prenons l’exemple de Giacometti, grand sculpteur du XXème siècle, qui disait à la fois savoir parfaitement ce qu’il voulait faire, et ne pas en avoir la moindre idée. Il ne sait pas si c’est sa main qui décide, et son œil qui suit sa main, ou son œil qui guide sa main.
De plus,comme le disait Valéry, il n’y a « pas de recettes pour faire un chef d’œuvre ». Contrairement à l’artisan qui suit son projet, aucune méthode, aucun concept préétabli ne pourra donner accès au véritable art. Nombreux sont les pièges tendus à celui qui se veut artiste : trop conventionnel, il ne saura que reproduire l’enseignement qu’il aura reçu. Sans génie, il sera certes reconnu comme un…