L’etat
Chapitre III
Les instruments de l’autorité politique
Les caractères originaux de la bureaucratie, une mise en perspective
Le propre de la modernité, ce mouvement de longue durée qui débute au Moyen-Âge et qui affecte tous les aspects de la vie sociale, c’est donc d’avoir fait du lieu politique le lieu d’institution du social, le lieu où sont discutés et établis les principes essentielssuivant lesquels il s’organise. Aucune puissance occulte, un dieu ou un ancêtre mythique, n’inspire plus le législateur humain. Sur le plan des idées, c’est en particulier le concept de contrat social qui permit de penser cette auto-institution de la société politique. Les membres de la société se constituant en corps politique, et forts des seules lumières de leur raison, délibèrent entre eux envue de s’accorder sur les meilleurs moyens d’assurer le bonheur de tous au sein de l’État.
Les révolutions anglaise, américaine et française, chacune à leur manière, avec leurs enjeux et leur tempo propres, sont autant de moments de basculement vers cette conception délibérative et profane du pouvoir politique. C’est ainsi qu’au printemps 1789, élus aux États Généraux pour représenter lesdoléances de leur ordre au roi, image de Dieu dans le Royaume, les députés du Tiers-État font basculer l’histoire en se proclamant Assemblée Nationale. Ils ne parlent ni n’agissent plus en tant que délégués du tiers ordre, mais en tant que représentants de la nation tout entière —dont la Révolution proclamera l’unité et l’indivisibilité— qui leur a délégué la puissance de faire les lois. La nation ou lePeuple, et le choix du terme sera un enjeu décisif des luttes révolutionnaires, mais c’est là une autre histoire, à la place de Dieu et du roi, sont désignés comme les dépositaires exclusifs de la souveraineté.
Mais si la Révolution est un moment de rupture elle est aussi un moment d’achèvement. La Révolution française se développe suivant deux axes complémentaires, mais qui possèdent chacuneleur propre temporalité. La Révolution française c’est au premier abord une révolution politique, qui ne parviendra à trouver son point d’équilibre qu’avec le vote des lois constitutionnelles de 1875, qui consacrent l’avènement de la 3ème République, du parlementarisme et du suffrage universel masculin. Mais la Révolution française c’est aussi une étape supplémentaire franchie dans le cadre d’unprocessus pluriséculaire de rationalisation de l’ordre politique, dont on distingue les prémices dès le Moyen-Âge, quand les monarques français, qui s’efforcent de réduire la puissance des seigneurs féodaux et revendiquent le monopole de la puissance souveraine, s’attachent à construire une administration qui ne dépende que d’eux seuls, et dont les membres, contrairement aux seigneurs féodaux, nesont pas les propriétaires de leur droit de commander, mais figurent comme de simples agents du pouvoir royal. Comme Alexis de Tocqueville le premier le mettra en évidence dans L’Ancien Régime et la Révolution, considérée sur la longue durée, la Révolution française ne fait qu’achever l’œuvre de liquidation de la féodalité que la monarchie avait depuis longtemps entreprise mais qu’elle n’avait plusla force de mener à son terme, parce que cela aboutissait finalement à remettre en cause ses propres fondements. La Révolution est ainsi l’occasion non seulement d’une refondation de l’ordre politique sur la base des principes de liberté et d’égalité civiles qui rompt avec le système des Ordres, mais encore d’une refonte des instruments de gouvernement qui s’incarnera à compter du 19ème siècle dansun objet politique nouveau, la bureaucratie, dont les libéraux n’auront de cesse par la suite de dénoncer les nuisances et les abus, mais dont la constitution est indissociable de l’avènement des régimes représentatifs et contribue, à sa manière, à la reconnaissance de l’individu comme sujet politique, au sens le plus complet du terme.
Car en même temps qu’il lui donne des droits, il le…