La technique est elle liberatrice ?
INTRODUCTION
On peut définir une technique en général comme un ensemble des moyens au service d’une fin, et plus précisément on peut définir la technique en particulier comme l’ensemble des objets créés par l’homme en vue de la maîtrise de son environnement. On insiste ainsi sur le caractère instrumental de la technique. Instruments, outils et machines permettent soit d’améliorer lesperformances du corps humain, soit de déléguer à des machines des tâches nécessaires à la vie quotidienne. En déléguant des tâches aux machines, les hommes dégagent ainsi du temps et de l’énergie pour se consacrer à autre chose que ces tâches. La machine libérant l’homme du travail, elle semble associée à la possibilité du loisir ou de l’oisiveté.
Le rapprochement entre technique et liberté est donc à lafois tentant et problématique.
– d’un côté, le rapprochement est tentant, car la technique permet d’augmenter la puissance de l’homme et par là de développer son indépendance par rapport aux contraintes naturelles. Ainsi, la technique serait vectrice d’une libération progressive de l’humanité : elle permettrait d’atteindre une indépendance progressive de l’humanité, toujours plus poussée, jamaisachevée. On dira en ce sens que la technique permet un progrès indéfini de l’humanité, c’est-à-dire une liberté comme processus.
– d’un autre côté, le rapprochement est problématique, car il n’est pas sûr qu’on puisse réduire la liberté à une augmentation de puissance. En effet, cette vision de la liberté assimile liberté et indépendance, c’est-à-dire un affranchissement ou une réduction descontraintes et des obstacles. Etre libre, ce serait ne rencontrer aucun obstacle, aucune limite imposée de l’extérieur. Etre libre, ce serait donc faire ce qui nous plaît, ou ce que nous désirons. Cette identification courante de la liberté est pourtant problématique : il faut distinguer indépendance (non obéissance à des règles) et autonomie (obéissance aux règles que l’on s’est prescritessoi-même). Dans cette perspective, assimiler la liberté à une augmentation de puissance sans règle qui vienne l’orienter, c’est réduire la liberté à l’indépendance.
I] La technique, libératrice…
La technique est vue tantôt comme un auxiliaire de l’humanité, tantôt comme une menace pour l’homme et la nature. Dans un cas, elle provoque de l’espoir d’une libération et dans l’autre, elle provoque de lacrainte d’un asservissement. Il y a donc une tension entre ces évaluations contrastées et divergentes. Cette tension est particulièrement visible quand on oppose la dimension de puissance (puissance incontestable que la technique donne à l’homme sur la nature) à l’asservissement de l’homme aux machines (fordisme ou taylorisme) ou à la dépendance de l’homme envers la technique. On explique ainsipourquoi tantôt on peut faire l’éloge des machines, dont l’avant-garde futuriste chantait la beauté, tantôt on en peut faire la critique, voire l’éloge et la pratique de leur destruction, comme les luddistes en Angleterre au début du 19ème siècle.
Dans un 1er temps, il est possible de définir la liberté comme indépendance, c’est-à-dire comme affranchissement. C’est un affranchissement par rapport àdes contraintes naturelles et au travail dans la société.
L’affranchissement des contraintes naturelles a une face négative et une face positive.
Etre libre, négativement, c’est ne plus être dépendant des intempéries (en construisant un habitat), de la faim (chasse, cueillette…). Assurer la survie est la condition minimale de la liberté, ou sa limite basse.
Etre libre, positivement, c’estaménager ses conditions d’existence de façon à avoir non pas simplement la survie, mais une vie agréable, voire une vie heureuse. Vivre bien ou atteindre le bonheur est le but maximal vers quoi tend la liberté, ou sa limite haute. Elle permet par exemple de réaliser des désirs anciens de l’humanité : voler, augmenter la durée de vie, peut-être même bientôt ralentir le vieillissement voire vaincre…