Spinoza

septembre 11, 2018 Non Par admin

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Spinoza, Traité théologico-politique, VII :

« Si chacun avait la liberté d’interpréter à sa guise les lois de l’Etat, la société ne pourrait subsister, elle tomberait aussitôt en dissolution, le droit public devenant droit privé. Il en va tout autrement dans la religion. Puisqu’elle consiste non dans des actions extérieures, mais dans la simplicité et la candeur de l’âme, elle n’estsoumise à aucun canon, à aucune autorité publique et nul absolument ne peut être contraint par la force ou par les lois à posséder la béatitude : ce qui est requis pour cela est un enseignement pieux et fraternel, une bonne éducation et par-dessus tout un jugement propre et libre. Puisque donc un droit souverain de penser librement, même en matière de religion, appartient à chacun, et qu’on ne peutconcevoir que qui que ce soit en soit déchu, chacun aura aussi un droit souverain et une souveraine autorité pour juger de la religion et pour se l’expliquer à lui-même et pour l’interpréter. La seule raison pour laquelle en effet les magistrats ont une souveraine autorité pour interpréter les lois et un souverain pouvoir de juger des choses d’ordre public, c’est qu’il s’agit d’ordre public; pour lamême raison donc une souveraine autorité pour expliquer la religion et pour en juger appartient à chacun, je veux dire, parce qu’elle est de droit privé. »

Dans ce texte l’auteur étudie le problème suivant : l’individu doit-il être laissé libre d’interpréter la religion? Ou bien revient-il à l’Etat d’en définir le contenu par la loi?
Une religion est un ensemble de croyances etde rites qui unit un groupe d’homme dans une foi commune. Le noyau de la foi religieuse est qu’il existe un être suprême auteur de ce qui est. En ce qui concerne les monothéismes, la foi religieuse se fonde sur un texte -la Bible, le Coran- considéré comme sacré puisqu’il est censé exprimer la parole même de Dieu.
Dès lors, ne serait-il pas sacrilège de laisser les hommes libres de décider du senset de l’importance des choses religieuses? Cela ne mérite-t-il pas d’être fermement condamné par la loi et par l’Etat? Si tel n’est pas le cas, de quelles raisons peut-on s’autoriser pour accorder et justifier une liberté totale, « même en matière de religion »?

La position de l’auteur est annoncée sans aucune ambiguïté dès le début du texte : si on ne saurait imaginer d’accorder auxindividus le droit d’interpréter librement les lois, « il en va tout autrement dans la religion ». On voit donc que pour Spinoza un droit à l’interprétation existe en matière de religion : il est donc pour ce penseur tout à fait légitime d’accorder un sens et une importance variable aux textes, aux dogmes et aux pratiques de la religion.
On comprend aisément pourquoi nul ne peut « interpréter à saguise les lois de l’Etat ». Les lois sont des règles juridiques dont l’ensemble dessine un certain ordre social. L’Etat, par le pouvoir de contrainte dont il dispose (le pouvoir de coercition), est le garant du maintient de cet ordre. Dès lors si chacun donnait le sens qu’il souhaite aux dispositions légales, qu’il jugeait comme il l’entend de leur caractère obligatoire, toute loi disparaîtrait. Onsait les conséquences de cet état d’anomie : la société « tomberait aussitôt en dissolution », « le droit public devenant droit privé ». Dans une telle situation en effet, l’individu devient la seule source du droit et de la loi, la seule source de l’autorité : il n’y a donc plus de « droit public », c’est-à-dire d’autorité commune pour réglementer les relations entre les individus dans l’espace public; iln’existe plus qu’un « droit privé », c’est-à-dire l’arbitraire de la compréhension et de la volonté des différents individus. On comprend que la société, se désagrège, s’anéantisse.
Mais pourquoi le cas de la religion est-il tout autre? N’est-elle pas elle aussi un des ferment de l’ordre social? L’Etat n’a-t-il pas pour devoir de veiller au respect de la religion et à l’orthodoxie des opinions…