La technique et le travail
La technique et le travail
On s’accorde pour penser que le travail est une dimension essentielle, constitutive de la nature humaine. L’Homme se détache ainsi du monde animal, car les animaux ne travaillent pas: en effet, ils se comportent de manière immédiatement conforme au développement de leur espèce : le castor qui construit son barrage ne peut pas faire autrement. Ce quidifférencie l’Homme de l’animal est donc le projet.
D’autre part, le travail permet aussi à l’homme de subvenir à ses besoins et désirs matériels : il permet ainsi de se libérer de la dépendance vis à vis de la nature (cf. cromagnon). Mais il semble aussi être un facteur de liberté future : je travaille pour passer de bonnes vacances au soleil et pour avoir une bonne retraite. Mais une question se posealors : l’organisation sociale que suppose le «perfectionnement» du travail ne conduit-elle pas nécessairement à une hiérarchisation qui, dans sa face plus sombre, peut conduire à ce que l’homme travaillant pour un autre que lui-même, se trouve à la fois privé des fruits de son travail et de son activité même en tant qu’elle est dirigée par un autre. On en vient alors à la critique de Marx.
Letravail est-il ce qui me libère ou ce qui m’emprisonne?
Cette question en amène une seconde : si ce même « perfectionnement » du travail exige la production d’outils de plus en plus performants, offrant la possibilité à l’homme d’acquérir une maîtrise sur la nature, la technique ne menace-t-elle pas cependant d’exercer sa maîtrise sur l’homme lui-même, celui-ci se trouvant dépossédé de ses forcespropres, se voyant aliéné ? On peut ainsi comprendre pourquoi, dans la pensée moderne, après l’ « utopie » du progrès technique (Voltaire), synonyme de progrès de l’humanité, la technique fut l’objet de très vives critiques.
Mais au-delà de celles-ci, ne faut-il pas pourtant reconnaître que la technique est anthropologiquement constitutive (formatrice de l’homme) : que l’on pense ici à l’inventiondu feu, au travail de la pierre taillée et même à l’autre extrémité de l’histoire de l’humanité, à l’Internet.
Tout ce qui est technique est-il bon pour l’homme?
I. Travail, technique et nature
a) Comprendre et dominer la nature
Tout d’abord, il faut bien saisir que toute technique est fondée sur les lois de la nature. C’est d’ailleurs ce qui conduit Aristote à laconsidérer comme une imitation de celles-ci. Mais cela suppose aussi une recherche scientifique antérieure. La technique est une application de la science, mais elle peut aussi l’aider, prendre part à la recherche scientifique.
Pour Bacon, cette connaissance scientifique préalable est la condition du but qu’il donnait à la technique, tout comme Heidegger d’ailleurs : la domination de la nature.L’enjeu pratique est solidaire de l’enjeu théorique: « On ne triomphe de la nature qu’en lui obéissant ». Toutes nos sensations, en effet nous viennent de nos sens, les lois de la nature sont engendrées par celle-ci. La soumission théorique apparaît donc comme une ruse en vue d’une domination pratique : en en comprenant les lois, en la faisant, en quelque sorte, travailler à notre place, la techniqueretourne notre relation vis à vis de la nature et aboutit à la libération de l’homme vis à vis des contraintes de la nature même. Cette vision de la technique est qualifiée d’idéal baconien. Ainsi, Bacon vante en quelque sorte la technique et cherche ainsi à lui rendre sa place quelle avait perdue dans l’antiquité. En effet tout travail technique était méprisé par les anciens pour qui seul l’otium etle cursus honorum étaient dignes d’un bon citoyen ; le reste étant réservé aux esclaves et au peuple.
Heidegger, au travers de sa critique sur la technique, montre que cette dernière engendre nécessairement la domination de la nature. Il critique la foi dans la science et la technique, qui seraient d’après lui à l’origine d’un « oubli de l’être », d’un « vide spirituel », selon ses propres…