Anthologie sur le voyage
L’Atlantique est là qui, de toutes parts, s’est généralisé depuis quinze jours,
avec son sel et son odeur vieille comme le monde,
qui coue, marque les choses du bord,
s’allonge dans la chambre dechauffe, rôde dans la soute au charbon,
enveloppe ce bruit de forge, s’annexe sa flamme si terrestre,
entre dans toutes les cabines,
monte au fumoir, se mêlant aux jeux de cartes,
se faufilantentre chaque carte,
si bien que tout le navire,
et même les lettres qui sont dans les enveloppes cinq fois cachetées de rouge au fond des sacs postaux,
tout baigne dans une buée, dans uneconfirmation marine,
comme ce petit oiseau des îles dans sa cage des îles.
La voici la face de l’Atlantique dans cette grande pièce carrée si fière de ses angles en pleine mer,
ce salon où tout feint l’aplombet l’air solidement attaché
de graves meubles sur le continent,
mais souffre d’un tremblement maritime
ou d’un quiétude suspecte,
même la lourde cheminée avec ses fausses bûches éclairées àl’électricité qui joue la cheminée de château assise en terre depuis des siècles.
Que prétend ce calendrier, fixé, encadré, et qui sévèrement annonce samedi 17 juillet,
ce journal acheté à la dernièreescale et qui donne des nouvelles des peuples,
ce vieux billet de tramway retrouvé dans ma poche et qui me propose de renouer avec la Ville ?
Que témoignent toutes ces têtes autour de moi, tous cesagglomérés humains,
qui vont et viennent sur le pont de bois mouvant entre ciel et vagues,
promenant leur bilan mortel,
leurs chansons qui font ici des couacs aigrelets,
et prétendent qu’ilfaudrait à cette mer qui prend toujours et se refuse,
quelques cubes en pierre de taille avec ces fenêtres et pots de géranium, un coteau dominé par la gare d’un funiculaire et un drapeau
tandis que surle côté,
des recrues marcheraient; une, deux, une deux,
sur un terrain de manoeuvre.
Mais sait-elle même qu’il existe
l’homme qui fume ces cigares
accoudé au bastingage,
le sait elle, la mer,…