L’écrivain auteur de sa ville

janvier 11, 2019 Non Par admin

Christophe Soulié

L’écrivain, auteur de sa ville
Espaces et territoires dans les romans de Jean François Vilar

Introduction

“ La ville est l’espace de nos amours, de nos révoltes et de nos rêves. Traversant la ville, c’est notre passé que nous arpentons – et le sien : les siècles qui se sont déposés là, sédimentés, aux façades des bâtiments, aux carrefours des rues, aux creux despavés .” C’est par ces quelques mots que Thierry Cécille présente l’ouvrage d’Eric Hazan, L’invention de Paris, sous-titré, il n’y a pas de pas perdus qui nous propose des déambulations dans Paris, intégrant toute la dimension immatérielle du temps à celle très matérielle des espaces que sont les immeubles, les rues, les jardins, les places, les canaux.
Sous les pavés, la plage, était-il écrit surdes murs, lors du printemps 1968. Derrière les façades, dans les perspectives de ces rues ou de ces boulevards, nombre de rêves se sont projetés, souvent interrompus brutalement dans le sang, avant que Paris ne soient normalisée par de grandes opérations de spéculation immobilière, appuyées par un prix du mètre carré galopant, arme implacable de “ purification sociale ”, dans une période où lerespect de la propriété est érigé en principe quasi- divin .
Davantage que les guides touristiques ou de prestigieuses et coûteuses plaquettes de présentation, la littérature enregistre cette dimension de la ville, laissant percevoir au détour de pages, des scories permettant à un éventuel flâneur, un travail d’archéologue, sans avoir recours à un tamis mais simplement à sa mémoire, celle de seslectures. Ce qui permet de poser comme hypothèse qu’un auteur est bien un auteur de sa ville puisqu’il participe à sa représentation, par sa subjectivité et par son positionnement. Par exemple, le Paris du Sacré Cœur n’est pas celui du mur des Fédérés, au cimetière du Père Lachaise. Il en est de même pour le Faubourg St Honoré et le Faubourg St Antoine. Pourtant tous ces espaces sont situés sur lamême rive de la Seine. La séparation est sociale et politique. Le Sacré Cœur, basilique construite pour expier les crimes de la Commune et le Faubourg St Honoré, lieu du pouvoir renvoie plutôt à une certaine conception de l’ordre alors que le Mur des Fédérés et le Faubourg St Antoine renvoie à l’histoire des insurrections, de la subversion, des séditions. D’un côté, un Paris blanc ou bleu et del’autre, un Paris rouge.
Pour appuyer notre propos, nous avons choisi un auteur contemporain qui a été rangé dans un genre désigné sous le terme de roman noir. Avec lui, nous avons exploré sa représentation du quartier de la Bastille. Il s’agit de Jean François Vilar et de son roman écrit en 1986, Bastille Tango. Mais nous avons aussi parcouru deux autres de ses romans qui ont pour toile de fondd’autres quartiers de Paris, C’est toujours les autres qui meurent (1982) et Passage des singes (1984). Avec Jean François Vilar, nous nous sommes immergés dans le Paris “ rouge ”, celui de la Commune et des séditions, comme le montre cette réflexion de son personnage qui est le narrateur de ces trois romans :
“ Je grimpe la rue Lepic et je me dis une fois de plus que je n’aime pas tellement Montmartre.Je peux y aller, pas y échouer. Je ne suis pas du cru, j’habite pas à l’étage, et surtout je ne supporte pas cette saloperie de Sacré-Cœur. ”

Comment aborder cette lecture et en dégager un certain nombre de savoirs ou de connaissances, en partant de l’espace et de ses représentations ?
Pour cela, nous avons constitué notre boite à outil en faisant un détour par la géocritique, afin d’essayerde mieux cerner ce rapport entre espace et littérature. Puis nous avons exploré la théorie d’Henri Lefebvre sur les espaces. Ensuite nous avons fait appel à la boite à outil de Gilles Deleuze, notamment le concept de déterritorialisarion et reterritorialisation pour lire les romans de Jean François Vilar.
C’est de ce voyage que nous allons rendre compte dans le cadre de ce dossier…