Les grandes tendances de la presse écrite au maroc
LA PRESSE ECRITE ET LE PROCESSUS DE DEMOCRATISATION AU MAROC
« …Notre désir, d’autant plus profond qu’il était souvent muet, était de libérer les journaux de l’argent et de leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lu. Nous pensions alors qu’un pays vaut ce que vaut sa Presse… ».
Albert Camus (Actuelles – Chroniques 1944-1948).A n’en point douter, analyser le système de la presse d’un pays équivaut à évaluer la dynamique de ses institutions, la culture politique de ses dirigeants et la maturité civique de sa population. Or, s’il est vrai, comme le relève la maxime de Camus, que le statut de la presse et des journalistes reflète évidemment la nature des rapports entre gouvernants et gouvernés dans une société donnée, iln’en demeure pas moins que l’un des critères les plus sûrs du progrès de la démocratie et du respect de la personne humaine réside dans l’évolution de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les moyens de communication de masse.
L’histoire de la presse écrite au Maroc en est la preuve la plus édifiante.
Tout d’abord, il convient de souligner que même si certainsauteurs font remonter l’introduction de l’imprimerie au XVI° siècle, le fait de presse, au Maroc, date presque indubitablement des décennies 1810-1820. La faiblesse documentaire à ce propos, si elle ne permet pas d’établir une chronologie analytique exacte, n’écarte cependant pas deux certitudes relatives à l’historiogenèse du phénomène. La première réside dans le fait irréfutable que l’initiativede presse, quelle qu’en soit l’origine, s’est d’abord accumulée pendant tout le XIX° siècle dans les villes du Nord du pays. La seconde, qui explique en partie la première, est que la presse écrite a été introduite par les puissances qui convoitaient de coloniser le pays, que l’on retrouve d’ailleurs en partie dans le tour de table de la Conférence d’Algésiras en 1906. Dès son origine donc, lefait de presse au Maroc est un acte éminemment géopolitique, puisqu’à la veille de 1912, toutes les nations en compétition disposent d’une presse locale.
Ensuite, il faut savoir que la presse purement marocaine est la fille légitime de l’opposition au colonialisme, une sorte de riposte virulente, d’abord réformiste puis très vite nationaliste, face aux protectorats français et espagnol. Forméedans le cadre de cette lutte indépendantiste, la presse marocaine incarne avant tout un journalisme d’opposition qui, embryonnaire au début des années vingt, notamment lors de la guerre du Rif, s’impose de plus en plus dans les années trente avant d’acquérir le statut d’arme politique, durant la décennie 1940. Au-delà de l’analyse technique de la qualité rédactionnelle, de la déontologieprofessionnelle ou de l’étendue de l’audience, la considération essentielle qui caractérise la presse écrite marocaine depuis sa naissance n’est autre que celle qui contraint l’occupant français, à l’occasion de chaque crise politique ou armée et jusqu’à l’issue finale du combat pour l’indépendance, à défendre ses premières lignes sur le front de l’expression médiatique en menant une politique générale deverrouillage de ce champ, au moyen de textes et de mesures chaque fois plus draconiennes, parallèlement à une stratégie ponctuelle de machinations et de censures à l’encontre de tel ou tel support jugé subversif.
Au lendemain de l’indépendance, alors que la presse écrite demeure comme à l’accoutumée un champ de bataille décisif dessinant un espace de dénonciation et de mobilisation desconsciences, son centre de gravité se translate, la configuration des participants au combat prend une tournure différente et les enjeux changent de portée. Obligée d’assumer sa part de responsabilité dans la consolidation d’une indépendance qu’elle avait largement contribué à acquérir, elle est cordialement invitée à opérer une reconversion de ses objectifs et de ses méthodes, afin de développer…