La critique

janvier 9, 2019 Non Par admin

Au milieu des années soixante la décentralisation est en place. Cela pourrait favoriser un recentrement sur l’écriture contemporaine. Il n’en est rien. D’une part, certains metteurs en scène fabriquent leur œuvre ou la commencent, comme Patrice Chéreau, d’autre part, on réévalue le répertoire en rattrapant le temps perdu. Enfin le public, dans une programmation à la carte que lui offrent lesabonnements ou les magazines, choisit déjà plus spontanément un classique qui lui dit quelque chose qu’un nouvel auteur dont il ne sait forcément rien. Un phénomène qui n’a fait que s’amplifier au fil des années, relayé par le souci gestionnaire des entreprises théâtrales, aux budgets de plus en plus serrés.
Et puis très vite, dans ces années soixante, arrive le bouleversement des aventurescollectives: du Living Theatre à Jerzy Grotowski, le groupe ou le corps de l’acteur priment sur le texte. Le théâtre devient un rite. On va voir un spectacle plus qu’une pièce, signé Giorgio Strehler ou Garcia. Même si les aînés, Roger Blin et Jean-Louis Barrault, continuent, eux, leur travail sur les auteurs, le pli est pris. Dont les premiers frémissements remontent peut-être aux effets produits par latournée du Berliner en 1954 (la première en Europe occidentale). Planchon: «La leçon de Brecht, c’est d’avoir déclaré: ‹Une représentation, c’est à la fois une écriture dramatique et une écriture scénique. Mais cette écriture scénique – et il a été le premier à le dire et cela me paraît important – a une responsabilité égale à celle de l’écriture dramatique›.» Le règne du metteur en scènes’affirme. Ce qui n’empêche pas Planchon de créer Adamov et V¦naver, d’aborder Ionesco et de passer lui-même à l’écriture. Comme quoi rien dans le monde du théâtre ne saurait entrer dans des catégories étroites et étanches.
Dès lors, un auteur comme Armand Gatti apparaît comme un franc-tireur, une exception qui confirme la règle. Chez Planchon il monte La Vie imaginaire de l’éboueur Auguste G. (1962), auTnp Chant public pour deux chaises électriques (1966); et en 1968 La Passion du général Franco au même Tnp est interdit. Gatti se détourne du théâtre. Il y reviendra plus tard, dans des aventures mêlant l’expérience sociale à son écriture qui ne se sépare plus de sa mise en scène.
Les événements de 1968 ne feront que radicaliser cette tourmente dans laquelle l’auteur se trouve pris. Les Journées deV¦lleurbanne en juin 1968 réunissent avant tout des praticiens du plateau et sont animées par les metteurs en scène. C’est le Living qui fait scandale en Avignon et, aux antipodes de toute notion d’auteur, propage celle de création collective. Laquelle, brièvement, triomphe. Sans faire ombrage au metteur en scène roi. Mais, dans tous ces cas de figure, les auteurs jouent les seconds rôles – etparfois les figurants.
Dans la foulée de 1968, les trois grands événements qui marquent le théâtre ne sont pas liés à l’émergence ou au triomphe d’un auteur dramatique. F¦n 1970, c’est 1789 par le Théâtre du Soleil, une fête plus théâtrale que politique, une façon de se souvenir de Mai-68 comme d’un refrain via la Révolution française. Puis c’est 1793, L’Âge d’or, et l’essoufflement, les crises.Aujourd’hui Ariane Mnouchkine travaille avec un auteur: son amie Hélène Cixous. En 1970 encore, Jérôme Savary crée le Grand Magic Circus: Zartan, De Moïse à Mao, Good Bye Mister Freud, etc. C’est le bal popu revisité par le burlesque américain et joué par l’éternelle troupe des comédiens ambulants.
En 1971, Robert Wilson monte, sans un mot, Le Regard du sourd. Spectacle qui exercera une influenceprofonde sur tout le théâtre contemporain, comme un peu plus tard La Classe morte, de Tadeusz Kantor, spectacle lui aussi de peu de mots. Wilson réalise ni plus ni moins la vieille prophétie de Craig…
L’auteur n’est pas mort mais il est ébranlé. Il subit une crise d’identité. L’émergence de nouvelles écritures est peut-être à ce prix. Pour l’heure, en ce début des années soixante-dix,…