Contrainte politique monétaire
1
PROBLÉMATIQUE RÉELLE ET ANALYSE MONÉTAIRE CHEZ FRANÇOIS QUESNAY
Edwin Le Heron
Maître de conférences à Sciences Po – Bordeaux
La théorie de François Quesnay est un des premiers essais de constitution d’un système cohérent d’économie politique1, où les rapports entre la problématique, l’analyse et la politique sont menés. Si sa problématique de l’ordre naturel providentiel et duproduit net tombe rapidement en désuétude entraînant dans l’oubli la physiocratie, son analyse monétaire de la circulation des flux globaux reste par contre étonnamment moderne. C’est un des paradoxes de sa théorie. Contrairement à une longue lignée de commentateurs, pour qui Quesnay ne s’intéresse pas à la monnaie, nous pouvons montrer, à la suite de Joseph Schumpeter2, qu’il est au contraire unmaillon essentiel qui, de Boisguilbert à Keynes, constituent la filière de l’analyse monétaire. Entre les théories pré-monétaires des mercantilistes et la domination, à partir d’Adam Smith, du système classique anglais et de son analyse en termes réels, nous voulons montrer ce qui constitue la modernité de Quesnay : l’analyse de la production dans le cadre de l’interdépendance générale par lacirculation des flux monétaires.
1 En suivant Alain Barrère, nous considérons qu’un système d’économie politique (SEP) est constitué de trois
niveaux : la problématique exprime les options d’ordre philosophique, moral, scientiste sur la conception de l’homme et de la société. Ce qui permet de dégager la finalité et la nature de l’économie, en précisant les questions jugées les plus pertinentes. Elle aun caractère essentiellement normatif. Puis l’analyse développe, à partir d’hypothèses, un système capable de répondre aux questions posées. Elle établit le schéma de constitution et de fonctionnement de l’économie en précisant les données, les variables du système, les relations fonctionnelles et causales. La logique interne doit être respectée. Enfin, la superstructure analytique ou politiqueéconomique développe les théories spécifiques, par opposition aux théories générales, et les moyens d’action. Elle vise à modifier le monde pour rapprocher ce qui est, de ce qui devrait être (problématique). Il s’agit au sens large de la politique économique. 2 C’est en particulier la conclusion qui se dégage du colloque international organisé par l’INED en 1958. Par contre, à celui de Versailles en1994 (également organisé par l’INED) où une première version de ce texte fut présentée, nous observons une nette inflexion vers une interprétation en termes d’analyse monétaire. Outre Joseph Schumpeter (1983), nous pourrions également citer Alain Barrère (1994) et Jean Cartelier (1984).
2 Toutefois contrairement à Boisguilbert et surtout à Cantillon pour qui une monnaie conventionnelle3 et lecircuit monétaire sont des éléments centraux de leur analyse, Quesnay s’appuie sur une problématique réelle cherchant à rationaliser l’ordre social traditionnel de l’ancien régime. Les règles se déduisent d’une loi naturelle voulue par Dieu, et la domination de la propriété foncière résulte principalement d’une « cause » économique naturelle : la productivité exclusive de l’agriculture. Lathéorie du produit net est la problématique réelle fondamentale de Quesnay à laquelle son analyse monétaire devra se plier. La privilégiant, il n’hésite pas à remettre en question les bienfaits du libéralisme (pour la fixation du taux d’intérêt par exemple) et insiste sur les dangers de la circulation monétaire (critique de la « finance circulante »). Toutefois la productivité exclusive de l’agriculture,don de la nature, rend impossible l’analyse du travail et l’élaboration d’une théorie de la valeur, ce qui explique le paradoxe d’une problématique réelle associée à une analyse monétaire. En privilégiant l’ordre naturel du produit net à l’ordre monétaire, Quesnay annonce la dichotomie réel/monétaire, Turgot et Adam Smith et donc la domination future de l’analyse réelle. Après avoir défini, à…