Français
Voici un texte écrit par un vrai metteur en scène qui a respecté la consigne… Bon écoutez, les cocos, on va reprendre toute la scène d’Antigone et Ismène, parce que ça ne va pas du tout, du tout, d’un bout à l’autre… C’est lent, c’est lourd, c’est schématique, c’est braillard, et surtout pas vivant pour deux sous. Si on ne veut pas que les spectateurs s’endorment, il faut absolument tout refaire.D’abord, il faudrait tout de même éviter de vouloir marquer l’opposition entre les deux sœurs d’une manière aussi énorme. Antigone, bon, d’accord, on sait que ce n’est pas l’élégance qui est son souci majeur, mais le blue jean violet à rayures vert pomme et troué aux fesses, c’est vraiment un peu bas de gamme. Le texte parle d’une petite robe noire, ce sera amplement suffisant. Et alors Ismène enjupe rose bonbon, vous ne croyez pas que c’est un peu ridicule ? On dirait un gros bégonia… Vous croyez vraiment que les gens viennent au théâtre pour écouter les angoisses d’un bégonia ? Ce n’est pas avec des moyens aussi balourds qu’on crée une tension sur scène, qu’on arrive à rendre un conflit vraiment poignant. Et même chose pour vos positions… Qui vous a donné l’idée de jucher Antigone surla mezzanine, alors qu’Ismène est allongée sur le tapis ? Ah, parce que ça veut dire qu’Ismène rampe devant le pouvoir, alors qu’Antigone prend de la hauteur ? Vous croyez vraiment que les gens, dans la salle, vont comprendre que parce que tu es couchée sur un tapis en laine de mérinos, cela symbolise la servilité à l’égard de Créon ? Et puis alors Antigone, descends de là tout de suite. On diraitque tu joues dans Les Oiseaux de Hitchcock et que tu attends que d’autres Antigone viennent se percher à côté de toi, c’est ridicule. Qu’est-ce que vous voulez ? Que les spectateurs se torturent les méninges à chercher ce que vous avez bien voulu exprimer, ou qu’ils comprennent immédiatement que c’est une question de vie ou de mort ? Bon sang, combien de fois faudra-t-il que je vous répète que cen’est pas en inventant des symboles à la mord-mon-nez qu’on arrive vraiment à créer une tension dramatique ? Et puis alors, bravo pour l’éclairagiste ! La lumière rasante à l’horizontale, c’est vraiment une trouvaille. Qui t’a donné cette idée-là ? Ismène ? Ah, je comprends… Au moins expliquez-moi à quoi sert cet énorme miroir, làbas… Et pourquoi Ismène se regarde-t-elle dans ce miroir, alorsqu’Antigone… Quoi ? C’est pour dire que Ismène réfléchit, alors qu’Antigone non ?
©HATIER
Vous vous payez ma tête ? Bon écoute, le génie de l’éclairage, là, tu vas me faire quelque chose de simple : une lumière bien crue, bien blanche (pas du rose ni du violet), qui permette de bien voir les expressions des deux filles, et ça suffira. Mais si, mais si, ça sera symbolique tout de même : beaucoup delumière, ça veut dire qu’il n’y a pas de zone d’ombre où se dissimuler. Content, comme ça ? Bon, alors, va me rectifier tes projos… Tout ça, ce sont des trucs, des procédés, des artifices, et ce n’est pas avec de pareilles niaiseries que vous allez faire une scène vivante et tendue… Il y a d’abord une question de diction, élémentaire. Les deux filles, vous me jouez votre dialogue comme si c’étaitune conversation entre deux intellectuelles du club des admiratrices de Marguerite Duras : c’est ennuyeux à crever ! Il n’y a pas besoin de faire des silences de cinq minutes entre chaque réplique… Mais non, mais non ! Ca ne donne pas du tout l’impression que vous pensez ! Bien au contraire… Et puis ce n’est pas non plus un dialogue à la Sartre ! Que diable, ce n’est pas un combat d’idéesabstraites, il n’y a pas de « thèse », là-dedans… Antigone, on ne te demande pas d’aboyer tes répliques comme une gamine de quinze ans qui enguirlanderait ses parents qui ne veulent pas lui acheter un téléphone portable. Et puis toi, Ismène, pourquoi diable est-ce que tu prends cette manière de parler gnangnan, comme si elle était cliniquement idiote ? Ce n’est tout de même pas parce qu’Ismène ne…