Inconnu a cette adresse
Kressmann TAYLOR (1903 – 1997) était américaine et mère de trois enfants. Entre 1926 et 1928, elle fut correctrice (rédactrice de publicité). Elle ne se considérait pas comme un écrivain, mais comme une femme au foyer, avant son livre « Inconnu à cette adresse » qui fut un best-seller considéré comme un chef d’œuvre dès sa parution en 1995. « Jour sans retour » est son deuxième livre abordantaussi le thème du mécanisme de la montée du nazisme en Allemagne. « Inconnu à cette adresse » et « Jour sans retour » sont des livres à la fois émouvants et inhabituels.
Kressmann TAYLOR passe du côté anecdotique d’une situation à l’élargissement philosophique avec beaucoup de finesse et de subtilité. Elle sait sauvegarder l’intérêt du lecteur, l’entraîne dans un labyrinthe d’idées. Il faut attendrela fin pour comprendre qui est « inconnu à cette adresse », phrase finale et titre de son livre écrit en 1938. La boucle se referme.
Cet écrivain reconnaît ne pas avoir tout inventé. Elle s’est servie de lettres réellement écrites qui ont constitué la trame de cette nouvelle, mais elle a eu l’art de les agencer pour maintenir le suspense et faire ressortir l’essence même.
À partir d’un faitréel, l’amitié profonde et sincère entre deux hommes, marchands de tableaux, Max et Martin, vivants tous deux au départ en Californie, Kressmann TAYLOR tisse la trame de son sujet. Martin décide de retourner dans son pays d’origine, l’Allemagne tandis que Max, juif américain, reste dans son pays mais ils décident de s’écrire régulièrement pour garder la chaleur de leur amitié. L’échange des premièreslettres montre le climat de confiance qui existe entre eux ainsi que leur affection réciproque :
« Mon cher Martin, laisse-moi de nouveau t’étreindre par la pensée (…) » (page 13)
Chacun parle spontanément de sa vie qui continue, de la maison de campagne achetée en Allemagne pour Martin, de la cherté de la vie et des privations pour les gens de ces deux pays, de leur chance à eux de bien gagnerleur vie puis le climat change au fil des mois. Max s’inquiète des changements dont il entend parler en Allemagne :
« Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d’accéder au pouvoir en Allemagne ? Ce que je lis sur son compte m’inquiète beaucoup. » (page 29)
Martin le rassure :
« Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards Hitler est bon pour l’Allemagne, mais je n’en suis pas sûr. » (page31)
Pourtant un doute persiste encore dans son esprit :
« (…) la finalité est-elle juste ? » (page 35)
Cependant la vie lui semble sereine et il assure à son ami de sa fidélité :
« Mais nous ne renoncerons jamais à l’authenticité de cette amitié dont tu parles de façon si touchante. » (page 38)
Max lui confie son désarroi, surtout pour sa soeur actrice qui aimerait aller en tournée à Vienneet à Berlin. Lui préfère qu’elle attende car il pressent la montée d’une ségrégation contre les juifs là-bas. Il s’en réfère à son ami qui attendra deux mois pour lui confier sa peur :
« (…) je t’écris sur le papier à lettres de ma banque (…) Nous devons présentement cesser de nous écrire. » (page 45)
« ne plus jamais m’écrire chez moi. » (page 46)
Son ami allemand change et peut maintenantécrire sans honte :
« La race juive est une plaie ouverte pour toute la nation qui lui a donné refuge. » (page 46)
Il est fier de « la renaissance de l’Allemagne sous l’égide de son vénérable Chef » (page 47) et de sa purification. Il ne doute plus :
« Pour ma part, j’y adhère corps et âme. » (page 50)
Max ne comprend pas comment son ami peut accepter ce « massacre de gens innocents » (page 54).Il ne peut pas imaginer ce changement si brutal de mentalité, cet aveuglement et lui crie. Il lui demande un signe qui ne vient pas, bien au contraire. Martin fait profession de sa foi pour Hitler.
Max supplie son ami de protéger sa petite sœur, Griselle, qui est partie jouer au théâtre contre son avis en Allemagne. Elle a beaucoup de succès mais Max est inquiet et lui dit :
« Je te confie…