Poésie et profondeur, j-p richard, résumé de la partie consacrée à baudelaire
Poésie et profondeur
Jean-Pierre Richard
« italique » = citation de Baudelaire
‘ citation’ = citation de J-P Richard
Création poétique : tentative pour posséder et pour humaniser le spirituel. L’exercice de l’imagination et les opérations du langage comblent l’étendue entre le poète et les choses, entre le poète et lui-même.
« L’ivresse de l’art est plus apte que toute autre à voilerles terreurs du gouffre » Une mort héroïque.
Similitudes entre Baudelaire et Poe : règne de l’incongru, du fantastique, image de la chute. Mouvement ‘vers un infini qui serait en même temps un centre, un fond toujours plus resserré de l’être vers lequel le moi se sentirait irrésistiblement attiré’. Chez Poe, engloutissement qui revêt un aspect liquide. Chez Baudelaire, retombée céleste vers unsoleil qui brûle et qui regarde. Mais la raison permet de cerner l’inconnu chez Poe : pessimisme fantastique mais optimisme de la raison = désir de ‘découvrir au fond du gouffre des possibles le point fixe où git l’unique vérité’. Le Scarabée d’Or : cette richesse inaccessible incarne l’impossible présence à soi-même pour Baudelaire. Or un homme en usant de son intelligence atteint ce trésor : ladistance est brusquement abolie entre le rêve et la réalité.
Mais Baudelaire ressent devant cette puissance intelligente un certain malaise, une sensation d’étouffement. Les choses, à mesure qu’elles sont envahies par le progrès de l’explication rationnelle perdent de leur densité et de leur poids, de leur substance charnelle. Le coffre dans Le Scarabée d’Or redevient générateur de rêves, objetimaginaire. Il n’y a pas de savoir ultime, le réel demeure en sursis. ‘Tout effort vers le centre de l’être débouche sur une nostalgie’. Baudelaire recherche certes dans l’univers métallique un monde sans en-dessous, la stérilité ; mais il rêve très souvent à sa substance intérieure, la vie originelle. ‘Le métal caché est aussi le métal cachant’, c’est pourquoi aucun trésor enterré ne peut jamais êtreabsolument découvert. La rêverie baudelairienne cherche à capter la lumière originelle. Le soleil se réchauffe à l’abîme d’une eau étrangement lustrale. (Le Balcon : Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,/ renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,/ Comme montent au ciel les soleils rajeunis/ Après s’être lavés au fond des mers profondes ?). Infinie fécondité du gouffre.
Cettefécondité peut se manifester à celui qui reste au bord de l’abîme à ‘écouter monter en lui les voix de l’abîme et quelques gouttes de ces voix suffisent à peupler toute l’étendue de l’âme’. Mais son imagination préfère interpréter lumières ou chaleurs, ‘encore éparses dans le noir, intimement mêlées à la nuit et ne (qui) vivraient pas sans elle’. La splendeur est ‘une lueur qui n’aurait pas lacrudité ni la violence immédiate de l’éclat, mais qui luirait dans le lointain, derrière un voile, enrichie, fécondée, presque sacralisée par la distance et par l’interdiction qui nous est faite d’en reconnaître exactement la source’ : « je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur »(Le désir de peindre). Le parfum qui éparpille sesmolécules impalpables est le messager idéal, insaisissable, corps et négation des corps. Il n’existe que pour signaler un ailleurs où Baudelaire rêve perpétuellement de se rendre.
Mais cette fécondité n’est pas inépuisable. Baudelaire est hanté par la crainte du tarissement. Supplice de la soif décrit dans Le Cygne, désir d’une irrigation par l’eau et d’un réveil par le feu qui traduit la nostalgied’une fécondité intacte. Toute expression est une diminution de la chose exprimée, sauf le parfum dont le rapport à sa source ressemble à celui entre un signe et son objet, entre une musique et les sens qu’elle suggère. Le brouillard lui apparaît au contraire comme le résultat d’un gaspillage d’être. Mais il tamise aussi l’éclat insoutenable de l’être et lui permet de contempler cet être. ‘Le…