Fiche de lecture qu’est-ce qu’un français ? de patrick weil

décembre 9, 2018 Non Par admin

Manipulation mentale et dispositif d’Etat
Benjamin MINE

En s’intéressant à ce qui est dit à propos des « sectes » en France, A. Esquerre interroge avec finesse les lieux communs qui sévissent habituellement dans le débat, et postule l’essor d’un dispositif de pouvoir étatique ayant pour objet et pour cible le psychisme des individus. Il ressort de son analyse que l’accusation de «manipulation mentale » occulte la complexité et la singularité de la situation visée. Recensé : Arnaud Esquerre, La manipulation mentale. Sociologie des sectes en France, Paris, Fayard, 376 p.

Dans cet ouvrage consacré à la manipulation mentale, Arnaud Esquerre livre une analyse originale de la lutte contre les « sectes » en France au travers de laquelle il postule l’essor d’un dispositif de pouvoirétatique ayant pour objet et pour cible le psychisme des individus. Un dispositif qui n’est pas neuf ni propre à l’Hexagone mais dont l’agencement particulier est susceptible d’affecter profondément la société et les individus en raison de la (dé-)valorisation qu’il opère parmi les groupements, les modes de vie, les pratiques, etc. Soucieux de privilégier une approche plurielle de son terrain derecherche, l’auteur entreprend l’étude minutieuse d’une multiplicité de microconfigurations sociales relatives à la « question sectaire » – autant de cas constitutifs de points de vue particuliers. Adoptant la posture du narrateur, il analyse ces différents cas au travers de récits où il relate ce qui est dit, en prenant soin à chaque fois de distinguer celui qui parle, la position depuis laquelle ilparle ainsi que les circonstances dans lesquelles il parle. Leur analyse comparative fait ainsi apparaître « des singularités et des récurrences de relations et d’actions humaines » (p. 14) qui deviennent pertinentes sur le plan théorique. Par cette stratégie de recherche résolument inductive, empreinte des présupposés épistémologiques du « relationnisme méthodologique »1, les différents cas étudiéspermettent à A.
1

Philippe Corcuff, Les nouvelles sociologies – entre le collectif et l’individuel, Paris, Armand Colin, 2007, p. 124 et sv.

Esquerre de mettre en lumière certains aspects de l’architecture biscornue du dispositif de pouvoir évoqué, son objet, ses effets de subjectivation ainsi que les enjeux et implications de cette lutte contre les « sectes » pour la société et lesindividus. Un champ discursif conflictuel Choisir d’aborder la lutte contre les « sectes » en France pour traiter de la manipulation mentale, est a priori pertinent d’un point de vue théorique mais cela peut se révéler particulièrement aventureux sur le plan pratique. Une telle étude, explique A. Esquerre, expose le chercheur en sciences humaines « à des risques » (p. 16) tant la passion qui caractérisele débat s’avère propice aux amalgames. D’emblée, celui-ci se trouve confronté à un véritable clivage entre « pro- » et « anti-sectes » par rapport auquel il est enjoint à se positionner : les uns dénoncent une politique de stigmatisation et de discrimination à l’encontre des « nouveaux mouvements religieux », là où les autres revendiquent la nécessité de renforcer les mesures de vigilance et deprévention à l’égard des comportements nuisibles de certains groupements qualifiés de « sectes ». L’activité scientifique n’échappe pas à cette polarisation des positions qui caractérise la « question sectaire », il suffit pour s’en convaincre de se référer aux sempiternelles controverses relatives au choix d’une dénomination pour désigner la réalité visée (« sectes », « nouveaux mouvementsreligieux », « dérives sectaires », etc.) ou aux éléments avancés pour différencier une « secte » d’une « religion ». En faisant le choix d’analyser des points de vue différents, A. Esquerre souhaite « parvenir à un équilibre en tenant ensemble des parties qui s’opposent » (p. 18) ; lequel formerait, le cas échéant, « un troisième camp dans une polémique à deux camps » (p. 18). Dans un champ…