La contrainte ou la liberté ?

décembre 8, 2018 Non Par admin

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La contrainte ou la liberté ?
Sébastien Faure Propos d’éducateur (1910)

J’en conviens : la pratique de la liberté implique une sorte d’apprentissage. La liberté présuppose un état de conscience assez développé ; cet état de conscience nécessite un certain savoir, une certaine connaissance des choses, de l’expérience, des points de comparaison ; et, l’enfant ne possédant pas ce savoir,n’étant pas parvenu à cet état de conscience, on estime que le régime de la liberté n’est pas fait pour lui et que la contrainte lui est nécessaire. C’est aller un peu vite et je n’accepte pas cette conclusion qui n’a que l’apparence de l’exactitude. Veut-on dire que, manquant d’expérience et n’étant pas encore en possession d’un discernement suffisant, l’enfant fera parfois un usage regrettable oupérilleux, pour lui-même et pour autrui, de la liberté qui lui sera laissée ? Si c’est cela qu’on affirme, je suis prêt à le reconnaître. Mais en faut-il conclure qu’une atmosphère de liberté ne lui vaut rien et qu’il convient de ne laisser ses poumons s’emplir que de l’air de la contrainte ? Je ne le pense pas. En matière d’éducation, le régime de la liberté comporte des risques et desinconvénients. C’est évident. Mais celui de la contrainte en entraîne de bien plus redoutables. Jetons d’abord un coup d’œil sur ces derniers.

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La contrainte : ses inconvénients Le régime de la contrainte a pour résultat de réglementer tous les actes de l’enfant ; il aboutit, par voie de conséquence, à la catégorisation de tous ceux-ci en prescrits et en défendus, en récompensés et en punis ; car iln’y aurait pas contrainte, si l’enfant n’était pas tenu de se conformer aux prescriptions et aux défenses, et si l’observation des premières et la violation des secondes n’entraînaient pas. comme sanction, selon le cas, une récompense ou un châtiment.

« Si tu fais telle chose, tu seras récompensé .» « Si tu fais telle autre chose, tu seras puni .»
Tout le système est là. J’accorde aux partisansde ce système que leur discernement est judicieux, que leurs intentions sont pures et qu’ainsi la classification qu’ils ont établie – actes à faire et actes à ne pas faire – est sage, raisonnable et inspirée par l’intérêt de l’enfant. Comme on le voit, je mets les choses au mieux pour les défenseurs du régime que je combats. Mais je vais maintenant traduire ce régime et son application en un styleplus familier, en un langage plus précis et en montrer le mécanisme par un exemple saisissant. Une mère dit à ses deux enfants : « Je sors ; en mon absence, soyez bien tranquilles ; voici un livre d’images et de contes pour vous amuser ; ne touchez à rien ; ne descendez pas dans la rue ; si quelqu’un frappe, n’ouvrez pas. Si vous êtes bien sages, je vous donnerai deux sous à mon retour et, pourgoûter, un beau morceau de chocolat ; ce soir, je vous mènerai au cinéma ou au cirque. Mais dans le cas contraire, si vous me désobéissez, pas de sou, pas de chocolat, pas de cirque, pas de cinéma et une bonne fessée. » Et la mère s’en va. De deux choses l’une : ou bien les enfants, à peine la mère partie, feront le diable à quatre, iront jouer dans la rue, toucheront à tout, bref, ne tiendrontaucun compte des recommandations de la maman ; mais, pour ne pas avoir la fessée, pour avoir les sous et le chocolat, pour aller au cinéma ou au cirque, ils remettront tout en place, et au retour la mère les retrouvera feuilletant bien paisiblement leur livre d’images. Ou bien ces enfants

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se seront conformés aux ordres de la maman ; ils n’auront pas cédé au désir d’aller jouer dans la rue avecles petits voisins dont les cris de joie parviennent jusqu’à leurs oreilles ; ils auront résisté à la tentation d’ouvrir pour savoir qui a frappé ; ils n’auront pas touché aux allumettes, quoi qu’ils eussent bien voulu en voir briller la flamme ; ils n’auront pas léché le pot de confitures quoi qu’ils en aient eu grosse envie. Ah ! s’ils avaient été sûrs que leur désobéissance restât ignorée…