Un exemple de gestion de la pauvreté au xixème siècle : le dépôt départemental de mendicité de la moselle (1845-1870)

novembre 28, 2018 Non Par admin

SOCIETE D’HISTOIRE DE WOIPPY

Un exemple de gestion de la pauvreté au XIX ème siècle : Le dépôt départemental de mendicité de la Moselle (1845-1870)

A l’été 1995, certaines villes du Sud de la France comme Tarbes ou Pau interdisaient la mendicité, suscitant de vives polémiques dans tout le pays 1 . La gestion de la pauvreté est une préoccupation ancienne des hommes politiques, et pluslargement de nos sociétés. Au XVIIIème siècle par exemple, une réponse est apportée à la misère et à la marginalité avec la création de nouvelles institutions sociales, les dépôts de mendicité. Souvent méconnus du grand public, les dépôts de mendicité ont jusqu’à ce jour peu intéressé les historiens 2 . Pourtant il s’agit bien d’étudier l’équivalent français des célèbres workhouses, créées outre-Manche3 . Dès 1764, toutes les généralités du royaume de France sont encouragées à enfermer les mendiants et les vagabonds dans des dépôts de mendicité 4 . Malgré une courte suppression décidée par Turgot en 1775-1776, ces établissements se développent et deviennent rapidement de véritables «dépotoirs sociaux » ; ils s’apparentent dans les faits aux Hôpitaux généraux et mêlent enfants, vieillards,malades ou encore prostituées. Maurice Block donne une définition intéressante de ce qu’est un dépôt de mendicité: « Il tient le milieu entre l’hospice et la prison. Il a pour but, en effet, d’une part de donner un asile au mendiant ; d’autre part de le contraindre au travail, de le corriger de ses vices et de sa paresse (…). 5 » Les élites sociales de cette deuxième moitié du XVIIIème siècleconsidèrent de plus en plus la charité comme génératrice d’oisiveté et lui préfèrent la bienfaisance qui doit procurer du travail. En obligeant les vagabonds et les mendiants à exercer divers travaux proposés dans leurs locaux, les dépôts de mendicité doivent punir la prétendue paresse des ces marginaux et les réinsérer par la suite dans la société. L’instabilité politique et financière de la périoderévolutionnaire ne favorise pourtant pas les dépôts de mendicité, et il faut attendre le Premier Empire pour qu’ils retrouvent une certaine dynamique 6 . Ainsi dès 1810 les autorités mosellanes désirent doter le département d’une institution dont l’unique objectif est l’extinction de la mendicité 7 . Plusieurs lieux sont pressentis pour mener à bien le projet d’un dépôt de mendicité. C’est finalementGorze, situé à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Metz, qui est retenu. Dès le mois de juin 1812 8 , les locaux de l’ancien palais abbatial accueillent le premier dépôt départemental de mendicité mosellan, mais son fonctionnement est éphémère. En effet, après la victoire des Coalisés à Leipzig en octobre 1813, les troupes napoléoniennes se replient à l’ouest du Rhin. Le mois suivant ellesréquisitionnent les locaux de Gorze pour en faire un hôpital militaire et expulsent
1 2

O. Faron, « Cachez ce pauvre qui dérange… », L’Histoire, n° 198, avril 1996, pp. 11-12. J.-C. Farcy, L’histoire de la justice française de la Révolution à nos jours. Trois décennies de recherche, Paris, P.U.F, 2001, pp. 317-318. 3 Les workhouses ou « maisons de travail » sont créés en Grande-Bretagne en 1834.Charles Dickens évoque l’univers de ces établissements dans son roman Oliver Twist. 4 A. Gueslin, Gens pauvres, pauvres gens dans la France du XIXème siècle, Paris, Aubier, 1998, p. 245. D’après ce spécialiste de l’histoire de la marginalité, il existe déjà 80 dépôts de mendicité en 1768. 5 M. Block, Dictionnaire de l’administration française, Paris, Berger-Levrault , 1891 (1ère éd. 1877), t. 2,p. 1503.
6
7

Un décret impérial de 1808 s’attache à « extirper la mendicité » dans l’Empire napoléonien.

M.- F. Jacobs, « Le palais abbatial de Gorze. Etude historique et archéologique » dans E. Manson, Gorze au fil des siècles, Metz, éd. Serpenoise, 1993, pp. 165-185. 8 J.-B. Nimsgern, Histoire de la ville et du pays de Gorze depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Paris,…